Objet : La deuxième nuit
Il lui plaisait, ce jeu. Cet effeuillage lent face à un inconnu.
Voilée par son anonymat, elle pouvait s'adonner à ce fantasme exhibitionniste...
qui habite tant de femmes. Stripteaseuse désincarnée, elle pouvait épouser les
rêves de ce Prince de nuit, en créer
d'autres pour elle autant que pour lui, voyeur d'ombres, miroir de ses intimes
arabesques, miroir vierge, qu’aucun affect n’avait encore déformé. Jusqu'à
quand et jusqu'où ? Il avait joué cartes sur tables, déclaré être marié, ne vouloir que des mots. Œil pour
voile, mots pour mots. Elle voulut relire le premier message qu’il lui avait
envoyé :
"La matinée commence et promet d’être belle.
Je découvre votre profil. Vos mots coulent comme miel… "
Les mots, elle en avait trop. Dans le
cœur, dans la tête, au bout des doigts, sur les lèvres, enfouis dans ses tiroirs ou dans le ventre
noir de son ordinateur, amoncelés au fil des ans, dans l'espoir d'en faire un
jour un livre, une chose cohérente qui rendrait cohérente et justifiable sa
propre vie. Elle piocherait donc encore au hasard dans ses écrits, son journal
intime, ses échanges amoureux, ses poèmes, et enverrait au Prince de nuit le butin
de ses chasses. Il n'aurait qu'à reconstituer le puzzle.
Un soir de mars 2008
Stridence du silence. Une nuit, une autre, comme
longtemps il n’y eut plus. De ces nuits où on lâche les mots sur une page
blanche en guise de larmes en guise de cris. Pourquoi il n’y a-t-il pas de cris
de joie, des mots de joie ? Je cherche fouille au fond de moi des mots
encore qui racontent cette errance de mon moi perdu dans les mers virtuelles en
quête d’un regard qui se pose sur la peau de mes mots. J’avance fonce
tête baissée, recueille ces hommages d’inconnus. Ecrire, écrire, écrire, rire
de moi de mes maux en mots. Rien qui jaillit du feu sacré enfoui dans les
entrailles des mots. Envie d’un joint, d’un verre, d’un quelque chose qui fasse
s’écrouler mon armure. Effarouchée je suis devenue. Loin derrière moi ces
années où mon corps se proclamait seigneur puissant, épuisant les laves
souterraines. Ah ! Mes mots. Pauvres vous êtes devenus à force d’être usés
en circuit fermé. Comment pourrais-je vous rendre vie ?
Ecrire, écrire, écrire. Laisser mes doigts courir
sur le clavier. Admettre ma défaite quand le sommeil me vainc. Les yeux qui
s’affalent, gonflés de pleurs inexprimés. Des pleurs déjà trop lointains. Le
sommeil qui gagne, moi qui m’y abandonne. La connexion qui ne marche pas, comme
souvent le samedi soir. Ces millions d’âmes solitaires cherchant comme moi sur
la toile l’inaccessible étoile. Rien de sacré dans ce feu tiède qui anime à
peine mes mots et ma peine. Lâcher. Chien. Association de mots. Le psy et ses
doigts croisés devant son sourire. Abus de pouvoir. Mon père. Je suis Fierté,
Orgueil, Humilité inconnue. Revenir en Inde apprendre l’humilité ?
Foutaises. Sous-rires.
Mes flirts et amitiés virtuelles ? Moudre du
vent ! Depuis la mort du père combien d’hommes ont ainsi défilé sous mon
ciel intérieur ? Où en suis-je ? Quelques pas en avant vers
l’inéluctable fin. Des bribes de littérature. "Le goût des jeunes
filles " devenu Poésie. Flotte
autour de moi une odeur de fleur d’oranger. Le printemps fut trop court cette
année. Ou est-ce moi qui étais trop prise à tenter de doper mon cœur de virtuelles
caresses épistolaires ?
Novembre 2007
Extrait de lettre à X
"Enfin de retour chez moi, lessivée. Quelques
mots avant de m'écrouler. T'écrire, comme si c'était hier, comme si rien n'était
advenu depuis...
Pourtant... Pourtant...
Moi, survivante miraculée de tant de cataclysmes.
Toi, dans ta vie et ton lit, tant de femmes.
Moi, cœur et lit déserts, par lassitude et par dégoût.
Remuer les cendres du vieux volcan? Et s'il n'était
encore vivant que dans nos souvenirs brûlants?
Ce qui reste ? Indéniable et flamboyante
certitude : de mes amours de femme, tu fus sans conteste le plus
beau, le plus fort, puissant, ravageur, dévastateur, entier, merveilleux,
profond, douloureux, passionnant, passionné... Tu fus l'Amour majuscule de ma
vie.
Mon cœur, mon corps te gardent à jamais tatoué au
plus profond. Nul ni rien n'ont su t’effacer.
Je t'ai fui, commettant tous les irrémédiables,
épuisée de trop t'aimer, de trop t'attendre.
Entre nous j'ai mis années, distances et mots
assassins.
Puis ce fut l'inéluctable. L'Univers Conspirateur,
se moquant de mes actes manqués, m'a forcé à revenir sur les lieux de notre
merveilleux crime. C'était naturel, incontournable. Je t'ai cherché. Était-ce
vraiment moi, ou "Elle"? Qu'importe! Je "la" vois encore,
s'enquérir avec un faux détachement de tes nouvelles, demander ton numéro
de téléphone sous un fallacieux prétexte. Je la vois, qui d'un geste
automatique, simple, naturel, comme une chose programmée depuis une éternité,
je la vois prendre le téléphone, composer ton numéro, jadis si familier. Elle
n'a pas hésité, n'a même pas voulu s'attarder sur l'affolement des battements
de son cœur. Déjà elle plongeait dans ta voix. Ah ta voix! C'était trop tard,
les dès étaient jetés, comme dans les tragédies grecques. Elle se savait perdue
d'avance. Elle savait que vous alliez vous revoir. Elle appréhendait ce moment
où tes bras se refermeraient sur elle, comme la dernière fois, sur un trottoir
de la ville meurtrie, il y a des siècles de cela. Elle savait que son corps l'abandonnerait, qu'il
la lâcherait sans vergogne, pour se couler dans la chaleur de ton
étreinte, confiant et impuissant à la fois. Elle savait tout cela, mais il
lui fallait mettre la forme. L'humour de préférence, pour maquiller
l'émotion, se donner à elle-même le change.
Elle se doutait bien que tu devais avoir une
ou plusieurs femmes dans ta vie, comme toujours. Mais elle s'en fichait. Elle
avançait vers toi avec l'assurance de celle qui se sait en territoire
conquis. Un territoire marqué à tout jamais par son empreinte où nulle ne
pourrait la supplanter. Après un bref flottement tu l'as reconnue, ta voix s'est
faite de velours brûlant, comme elle l'espérait, comme elle le craignait. De ta
voix tu la pénétras, comme toujours. Vous saviez déjà que vous alliez vous
revoir. Vous saviez que tu devrais mentir, voler ce temps à tes autres femmes.
Le reste n'était que détails.
Puis se furent vos regards. De loin elle a cherché
ta silhouette dans la rue. "Les cheveux ont blanchi, la taille est plus
massive", se dit-elle en te voyant arriver, un peu voûté, les mains
dans les poches de ton veston de cuir noir. "Ai-je tant vieilli,
depuis?" se demanda-t-elle pendant les interminables secondes qui
séparaient encore votre inévitable étreinte. Mais déjà tu l'enveloppais de tes
bras puissants, tu la serrais contre ta poitrine, comme si tu voulais l'y
enfoncer, comme toujours, comme elle aimait, comme elle avait oublié qu'elle
aimait. Vous avez marché ensemble, quelques pas, à l'aveuglette. C'est elle qui
t'entraînait, elle ne savait où. L'important était d'être ensemble et proches.
- "Où m'entraînes-tu?" finis-tu par
demander. Vous riiez, tous les deux. "Ils ont l'air heureux", devaient
se dire les deux vigiles qui vous observaient. "Viens, il y a un hôtel
tout proche". Pendant quelques fractions de seconde, elle s'imagina que tu
y avais réservé une chambre, pour vous retrouver, de façon plus intime... Délire
ou désir inconscient ?
1h45 - Voici que les quelques mots du départ
deviennent un long récit. Elle aimait retrouver et transcrire ces infimes
mouvements de son âme. Toi, de l'autre côté de la nuit, tu flirtes avec l'aube.
Une femme t'attend dans le lit qui fut nôtre. Une autre dans un grand lit froid
t'écrit. Tu es gâté, Casanova !
Aurais-je le temps et l'énergie de continuer
ultérieurement le récit de nos retrouvailles ?
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